UNE AUTRE ÉCOLE EST POSSIBLE

Jean-Marc Fert

L'Éducation Nationale coûte trop cher. D'accord. Les résultats sont médiocres et nettement en deçà des espérances des familles. Encore d'accord. Les gouvernements précédents, de gauche comme de droite, n'ont pas fait les réformes indispensables. Toujours d'accord.
Cela dit, j'ajouterai tout de même quelques éléments à cet apparent alignement sur les positions du gouvernement actuel. Tout d'abord je noterai que la plupart des parents attendent des responsables politiques qu'ils tiennent un discours un peu plus élaboré que ce que l'on entend au café du coin. Pour continuer, rappelons les études récentes qui ont montré que l'on s'ennuie beaucoup à l'école, et bien plus encore au collège. Rappelons aussi que les rapports sur les solutions à apporter aux difficultés du système éducatif sont nombreux, en particulier des rapports d'excellente qualité produits par l'Inspection Générale. Rappelons aussi que chaque gouvernement, y compris celui-ci, a une fâcheuse tendance à ne les publier que lorsqu'ils vont dans le sens de son idéologie.
Revenons sur la médiocrité des performances de nos jeunes. Le système de mesure à la mode s'appelle PISA et il a été mis au point par les meilleurs experts de l'OCDE. Le seul problème, c'est qu'il ne corrèle pas les résultats des élèves avec le niveau d'étude de leurs parents. Ces fameux experts ont apparemment oublié Bourdieu et son concept pourtant si éclairant de'capital culturel'. Cela donne à leurs fines études statistiques autant de validité qu'à l'astrologie.
Mais il est vrai que l'école, et plus encore le collège ou le lycée, est vu par de nombreux jeunes comme un lieu d'ennui profond, comme un lieu exigeant la soumission à l'autorité, où l'on doit apprendre dans l'isolement, l'immobilité, le silence et l'obéissance. Cela leur paraît ressembler au couvent, à la caserne, voire à la prison. Dans ces conditions, comme tout être normal épris de liberté, le jeune ne peut avoir comme projet que l'évasion.
Bien sûr, il existe pour les moins craintifs ou les moins endoctrinés la solution catastrophique de l'absentéisme. Mais pour la plupart, et dans une énorme proportion, l'évasion n'est que mentale : le jeune se contente de rêvasser, de zapper, ou de commencer une autre activité plus intéressante avec son voisin.
Imaginons un instant, si l'on rendait l'école passionnante, quelle gigantesque économie de temps perdu on pourrait réaliser ! Si les collégiens arrivaient chaque jour avec encore le naïf bonheur des petits de maternelle, quel bonheur pour leurs enseignants, quelle rapidité dans leurs acquisitions culturelles et cognitives, quel plaisir d'apprendre et d'enseigner !!
Les solutions existent, elles ont été testées. Au XIXème siècle, on a appelé cela l'enseignement mutuel (cf. dossier dans le Monde de l'éducation de juillet-août 2007, titré : une autre école est possible), et cela a été abandonné parce que trop subversif. Depuis le début du XXème, on a développé bon nombre de pédagogies nouvelles, pédagogies différentiées, pédagogies centrées sur l'apprenant, démarches d'auto-socio-construction des savoirs, établissements autogérés. Tout cela fonctionne et, puisque aujourd'hui on ne peut être écouté que si l'on parle gros sous, le rapport qualité-prix en est extrêmement compétitif.
Seulement toutes ces nouvelles façons d'enseigner ont un travers évident : elles nécessitent une remise en cause profonde et totale de notre rapport à l'autorité. La gauche comme la droite ne s'y sont pas risquées. Le rapport le plus courageux dans ce domaine a été le rapport de Peretti sur la formation des maîtres, qui n'a été que peu appliqué. Encore récemment, on a entendu les politiciens de gouvernement faire rêver les foules en leur promettant le retour de l'autorité. Mais cette autorité à l'ancienne dont ils parlent est morte et bien morte (bien avant 68, d'ailleurs), et tenter de faire revivre un cadavre est bien trop coûteux en nos temps d'économie. La nécessité d'aujourd'hui, c'est d'en finir avec l'auto

Jean-Marc Fert, éducateur au lycée Henri IV, auteur de Eduquer pour une société durable - Dieux et autorités en crise (en préface : un entretien avec André de Peretti), L'Harmattan.


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